dimanche 30 novembre 2008

Frédéric Lordon - Jusqu'à Quand ?

Ce second livre est lui aussi une actualité récente, lui aussi d'un auteur bien connu des lecteurs du Monde Diplomatique. Il est d'autant plus d'actualité que la fameuse crise financière n'en finit plus de nous toucher et que très rares sont les explications claires de ce qui s'est passé et se passe encore. M. Lordon fait tout cela et plus encore : il annonce ce qu'il va se passer et, mieux encore, propose des solutions.

Jusqu'à Quand ? - Pour en finir avec les crises financières
de Frédéric Lordon
Raisons d'Agir
ISBN : 978-2912107428

Ce petit opus, même s'il est dans les plus gros livres de la collection (deux fois plus épais) est si bien écrit, en termes de clarté, qu'on arrive à la fin avec un goût de trop peu. Pourtant, il est question ici d'économie, et d'économie financière, le machin dont les journaux répètent régulièrement que le sujet est "complexe".
Ce n'est plus si complexe une fois ce livre lu. Il est clair, concis, détaillé et ... révoltant (au bon sens du terme).
La première partie du livre détaille donc le fonctionnement de l'économie financière dérégulée. Il aborde tout le système et son évolution, avant d'étudier le mécanisme de la crise. Finalement, la logique est assez simple si tant est qu'on aie deux sous de culture en comptabilité. En résumé, ils se sont tous bercés d'illusions, mais comment ne pas le faire quand le système y incite et que les illusions valent, temporairement du moins, des milliards de dollars ? Dur. Et le système financier est si bien conçu que les voix rebelles y sont punies (dans des tableaux d'honneur, et autres gadgets précurseur de la "reputation value" annoncée par les écrivains de SF, comme C. Stross).
Ce qui s'est cassé la gueule, donc, pour le dire clairement, c'est l'idée de suppression totale du risque dans le marché des crédits. Comment ont ils réalisé cela ? Il suffit de prendre ses crédits (par exemple immobiliers, au hasard), de les mélanger dans une boîte noire (appelée SPV) et d'en ressortir des titres. La différence entre les entrées (qui sont le paiement des crédits) et les sorties (sous forme de titres) est que les titres sont catégorisés et qu'il y a une règle de répartition des défauts de paiement, c'est-à-dire quand l'argent ne rentre plus.
Bon, c'est plus compliqué que ça, mais je n'ai pas toutes les pages, ni tout le talent, qu'a M. Lordon pour expliquer tout cela. Le seul truc à retenir c'est que ce système se bercait d'illusions valables uniquement quand tout va bien, renforcées de leviers pour maximiser les gains, le tout arrosé de nombre d'assurances prises (la prochaine crise). Sauf qu'au premier coup de vent généralisé, comme une crise d'immobilier, tout le système éclate comme une bulle, *pop*. Et les leviers maximisent dans les deux sens, donc désormais, les pertes. Et comme les assurances ne fonctionnent que quand le problème n'est pas généralisé, le pire est encore à venir.
Mais M. Lordon propose des solutions. Et lui, contrairement aux économistes médiatiques habituels et habitués, qui nous vendent la soupe de la dérégulation à toutes les sauces mais ont méchante tendance à retourner leur veste quand la bulle éclate, M. Lordon, donc, n'a pas retourné sa veste et ce qu'il propose est dans la droite ligne de ses écrits antérieurs (on se rappele d'ailleurs son article "Les Disqualifiés" dans le Monde Diplomatique, nov. 2008).

Finalement, lui répond aux questions que je me posais depuis longtemps quant aux pétitions de principe fournies par les autres. La question "pourquoi ?" que j'applique à chaque pétition de principe, donc:
"L'économie de marché est ce qu'il y a de mieux". Pourquoi ?
"On ne peut plus s'en passer." Pourquoi ?
"Cela apporte tant à l'économie réelle." Pourquoi ?
Il est possible de remplacer par "prouve-le", ça marche aussi.
Bref, M. Lordon reprend au cours de son livre chacune de ces assertions et, y répondant, les démonte sévèrement, avec arguments. Lui ne se contente pas de pétitions de principe et autres paralogismes.
Les solutions qu'il propose semblent méditées depuis longtemps, d'ailleurs.

Utilité au militant de gauche :
Au-delà de la rage provoquée, ce livre apporte beaucoup.
  • Déjà, il permet de comprendre dans le détail le mécanisme de la crise. Disons avec un niveau de détail suffisant, car le mécanisme a été répété sur lui-même de nombreuses fois, mais ne complexifie qu'un système erroné à la base (diffuser et augmenter le risque en croyant l'avoir supprimé).
  • Ensuite, il permet de répondre au discours ultra-libéral. Il permet déjà de poser des "pourquoi" à la fin de chacune des justifications habituelles, ce que les journalistes ont à mon avis cessé de faire depuis longtemps, hélas. L'économie financière régulée a fonctionné parfaitement pendant 40 ans. Les banques se sont passé pendant des décennies de la titrisation, elles pourraient à nouveau s'en passer. L'économie financière n'apporte que très, très peu à l'économie réelle comparativement aux sommes d'argents générées (totalement artificiellement, on peut parler d'économie virtuelle). Les banques sont des organismes censés prendre des risques raisonnables et les porter, pas s'en débarasser sous le premier tapis venu, même si des rentabilités mirobolantes miroitent à l'horizon comme tout bon mirage qui se respecte.
  • Enfin, il propose des solutions : de réglementation du système, de nationalisation des places financières, de primes arithmétiquement reliées au profits/pertes des traders, etc. Des solutions qu'il détaille à la fin de son ouvrage et sont la logique suite de tout ce qu'il a décrit. Des solutions que les partis de gauche pourraient examiner et éventuellement inclure dans leur programme, pourquoi pas ? Je vois au moins trois partis qui pourraient commencer à baser leur réflexion sur les propositions de ce livre.

François Ruffin - La Guerre des Classes

J'ai hésité longuement pour cette première fiche, mais comme il s'agit d'un ouvrage récent, autant lui donner un coup de projecteur bienvenu.


La Guerre des Classes
de François Ruffin
Fayard - octobre 2008
ISBN : 978-2213638164

François Ruffin n'est pas un inconnu. Il collabore souvent au Monde Diplomatique, et son ouvrage contient pour partie des éléments de ses articles dans ce journal (y compris le numéro de novembre 2008). Il s'était fait connaître aussi par son livre sur la formation des journalistes, "Les Petits Soldats du Journalisme", qui avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque.

La Guerre des Classes est issu d'un constat très simple : la disparition quasi-totale de la notion de lutte des classes dans les discours de la gauche (PS et PC). De la disparition de ces quelques mots, Ruffin fait le tour des idées ayant mystérieusement disparu des principaux courant de gauche, tout en décrivant cette évolution et en lui donnant des causes. Où sont passés le socialisme, la lutte de classes, le partage des richesses ? Perdus au combat ? Non, plutôt discrètement éjectés, balayés sous le tapis pour "faire propre" lors des discours et des grands raouts. Pourtant, ces notions ne sont guère obsolètes, et Ruffin se charge de nous le démontrer.
Pis encore, il nous montre aussi comment la droite utilise ces notions pour les déclarer obsolètes ou archaïques. Comme si la gauche n'avait pas changé de discours depuis un siècle. Alors que c'est bien le cas, elle a changé : elle s'est débarassé de tous les concepts qui la fondaient. Et c'est bien la droite qui n'a pas changé depuis un siècle, à part peut être pour enlever ses derniers freins face à la finance. Les discours d'archaïsme de la gauche, on les retrouve déjà sous la plume des maîtres des forges à la grande époque.
Il n'échappera pas au lecteur que le style pamphlétaire de Ruffin peut pousser le commentateur à rejeter en bloc ce qui est dit pour des questions de style. C'est se tromper de débat, le fond est plus important que la forme, et ce fond est ici essentiel.

Utilité au militant de gauche :
  • Ruffin rappelle ici les notions fondatrices de la gauche. Le partage des richesses, la lutte des classes, bref ce qui est son fond électoral depuis toujours et dont la disparition est dangereuse pour elle (et qui est probablement une des raisons de ses diminutions de suffrages). Sous des impulsions de "modernisation" venue de la droite, la gauche a rejeté ce qui la faisait, s'acoquinant avec une droite modérée, a minima dans la partie économique de ses programmes.
  • D'autre part, il rappelle ce chiffre qui tarde franchement à devenir célèbre : 9,8%. Il s'agit, en France, de la part du PIB ayant "ripé" du salariat vers l'actionnariat. Cela représente dans les 150 milliards d'euro par an, et cette évolution, similaire dans toute l'Europe, a réussi a inquiéter la Banque des Règlements Internationaux (BRI) (source retrouvée dans un article du même Ruffin sur le Monde Diplomatique). En bref, dans les 20 dernières années, la France a presque doublé son PIB, mais ses habitants, à une minorité près, doivent toujours plus se serrer la ceinture.
  • Il revient aussi sur l'utilisation des idées de gauche par la droite. Aux dernières élections, seuls des hommes de droite usèrent de l'expression "lutte des classes", pour rappeler que c'est une notion archaïque. Etrange, puisque leurs adversaires n'en usaient pas. Serait-elle moins archaïque que prévu pour qu'il faille, par pétition de principe, rappeler à chaque instant qu'elle l'est, soyez-en-persuadés-braves-gens ? Les classes existent, n'en doutez pas un instant. Il suffit pour cela de la présence de riches et de pauvres. Et Warren Buffet lui même affirme l'existence de la lutte de ces classes, en disant que c'est "sa classe, les riches, qui est en train de gagner [cette lutte]". L'exploit fondamental aura été de faire que l'une des deux classes s'enlise dans une lutte interne : l'assedic peut haïr le rmiste, qui peut à son tour détester le cotorep, ad nauseam. Grâce à cela, aucun d'entre eux ne se tourne vers le vrai auteur de ses malheurs : les gens qui sont du coté du manche.
L'avis d'Alias

    Quid ?

    Qu'est-ce que ce blog ? Un de plus parmi des milliers. Je n'ai pas la prétention de vouloir lui donner une quelconque visibilité, seul l'intérêt qui sera porté à ses messages fera quoi que ce soit à ce sujet.

    Les messages de ce blogs seront d'un unique type : ce seront des fiches de lecture. Contenu, opinion, utilité. Utilité ? En effet, le but n'est pas vraiment de décrire des ouvrages dans le vide silencieux que représente le bruit assourdissant de tous les messages qui composent la blogosphère. On n'est jamais aussi seul que dans une foule. Le but est de lire et commenter des ouvrages selon un point de vue utilitaire, celui du militant de gauche, et gauche de manière générale, du libertaire au trotskiste, du communiste au social démocrate en n'oubliant pas les écologistes.

    En bref, le but est ici de donner des arguments pour fourbir tant les discours que les discussions de pause-café, afin de contredire d'éventuels interlocuteurs en se basant sur autre chose que des ressentis et des pétitions de principe, qui sont malheureusement la majorité des argumentaires d'aujourd'hui. Il semble que justifier ses opinions à l'aide d'arguments soit passé de mode. Plus maintenant. Ou en tout cas, je vais m'efforcer d'éviter cela.
    Ici seront donc des fiches de livres, éventuellement d'articles (sous condition de disponibilité à long terme, sur Internet ou en librairie). Ces livres et articles ne se limiteront pas aux seuls livres politiques, mais à tout ce qui me passera sous la main qui peut servir à l'usage. Pamphlets, discours, science-fiction, tout peut convenir du moment que cela sert l'objectif premier.

    Evidemment, je ne m'attends pas à faire des billets tous les jours : je lirai quoiqu'il arrive moins vite mes livres qu'un éventuel lecteur le contenu d'un billet. Je ne prétends pas non plus à l'objectivité, pas plus qu'à la perfection. Ce blog est le fait d'un être humain, pas d'une machine. Un être humain engagé, avec des opinions, des idéaux, des défauts. Ce sera donc plutôt de la "gonzo-fiche de lecture" qu'autre chose.

    Eventuellement, ce blog est ouvert à ceux qui me proposeraient des fiches. Sait-on jamais... Je me garde la possibilité de relire, quand même, hein...