mardi 13 janvier 2009

De l'échange de biens abondants

Tiens, je vais parler d'un texte encore plus court et encore plus obscur, et pourtant extrêmement intéressant, dont le sujet est un sujet clef en ces temps où l'information est une denrée dont le système de vente alimente les conversations. En effet, pour ceux qui s'intéressent un peu à l'informatique (et lire un blog tel qu'icelui est déjà un indice), vous n'ignorez pas toutes les fortes discussions concernant l'achat et la vente de culture numérisée : livres, musique, films, la liste est longue.

Une des notions clef autour de cette histoire est la rémunération de l'auteur mais surtout de ses intermédiaires car c'est surtout eux qui ont le plus à y perdre dans l'affaire.

Une autre des notions clef est la nature même du dit bien. Une musique, un film ou tout autre élément culturel est une information, une donnée. Notre économie est conçue, justement, autour de la notion d'économie. Oh la belle lapalissade. En fait pas vraiment. L'économie est la science de l'échange de biens basée sur la notion de rareté de ces biens. Plus un bien est rare et/ou demandé plus il est cher. Mais cette notion ne s'applique qu'à des biens finis. Par exemple : j'ai un bonbon, je donne ce bonbon, j'ai plus mon bonbon.
Dans le cadre de l'information, ce n'est plus vrai, car il s'agit d'un bien transfini. Par exemple : j'ai un renseignement, je donne ce renseignement, je n'ai pas pour autant un renseignement en moins. Je pourrai à nouveau donner (ou vendre) ce renseignement.
Ce bien est donc abondant une fois réalisé la première fois.

C'est là où la tentative d'appliquer la notion d'économie à ce genre de biens est viciée, car on se retrouve avec des noeuds à la tête pour tenter d'expliquer en quoi il est rare pour y appliquer les règles de l'économie. Et le seul moyen de le faire se trouve dans les biens connexes à mon information : production, transport, distribution. Mais pas au bien lui-même.

Or, un mp3, un divx, un logiciel libre, par le biais du net, n'a plus aucun des biens connexes, à part la plateforme de distribution (mais le P2P enlève cette notion) et le travail de l'auteur et de ses comparses, comme par exemple, l'équipe de tournage et de montage du film. Le réalisateur n'est pas le seul auteur d'un film. Donc la notion d'économie ne parvient plus à s'appliquer qu'à la phase de création du bien. Après, le bien est transfini. D'où tout la complexification, souvent biaisée, parfois abusive, de ce sujet. Alors que le problème est simple : ces biens sont transfinis, l'économie va donc avoir du mal à s'appliquer.

Tout ceci est expliqué dans un court essai, hélas en anglais (lien direct sur le titre) :
Agalmics : the marginalization of scarcity
par Robert Levin

C'est dans cet essai que l'auteur met en avant la notion d'agalmique, c'est à dire les règles gouvernant l'échange de biens abondants. L'inverse exact de l'économie. A partir de cette notion, des personnes douées dans le domaine de l'économie (hi hi) pourraient, peut être, réfléchir à une vraie solution pour gérer les biens transfinis d'une manière plus satisfaisante que les solutions proposées jusqu'ici, que je n'hésiterais pas à qualifier de décevantes. L'important étant de tenir compte de la nature même du bien.

A priori, on pourrait croire que ça ne s'applique qu'à l'information, mais si j'en crois les auteurs de science fiction, notre vie actuelle ne restera pas similaire pour toujours. Et parmi les éventualités proposées par ces auteurs, deux s'avéreront nécessiter l'agalmique plus que tout :
  • Dans le cas où on crée des "imprimantes à matière", c'est à dire une imprimante capable de fabriquer un canapé comme une lampe à partir d'un schéma téléchargé sur Internet, tout bien devient transfini. L'économie devient une notion obsolète
  • Dans le cas où l'humanité s'uploaderait dans un ordinateur géant, la notion d'économie n'aurait plus de sens.
Bien sûr, ces exemples sont purement science-fictionnels (ou dans un futur extrêmement lointain). C'était pour dire que non, les règles de l'économie ne sont pas "naturelles", ni "éternelles". La notion même d'économie n'est pas "éternelle" et est technologiquement dépassable. C'est juste que ce dépassement est extrêmement lointain.

Tout cela dépasse mon propos. L'idée était de signaler que la notion d'économie elle-même, à la base et dès aujourd'hui, s'applique mal aux biens informationnels.

Utilité au lecteur de gauche :
  • s'ouvrir un peu l'esprit à des possibilités nouvelles, surtout face aux nouvelles technologies
  • alimenter et étendre la réflexion sur la notion même d'échange des biens
Edition : on notera que l'album qui s'est le mieux vendu sur la plateforme Internet en 2008 est un album aussi distribué gratuitement, "Ghost I-IV" de Nine Inch Nails, qui a rapporté plus d'un million de dollars la première semaine à son auteur.