samedi 28 février 2009

La Vague

Un très court billet pour signaler la sortie ce mercredi 4 mars 2009 au cinéma de l'adaptation cinématographique du livre de Todd Strasser commenté dans le billet précédent. Une fois n'est pas coutume : si vous n'avez pas envie de lire, vous pouvez toujours voir le film.

Rappelons vite fait de quoi il s'agit : un professeur d'histoire contemporaine dans une université californienne va tenter d'expliquer la montée de l'acceptation d'une idéologie par l'exemple.

C'est une histoire vraie, qui a eu lieu en 1964.

Le film est allemand (Die Welle).
Bande annonce en français :
http://www.youtube.com/watch?v=SAr3dxvWRz4

mardi 3 février 2009

La pression des pairs n'est pas une nouvelle vague

Je profite d'une sortie BD récente pour évoquer trois expériences sociologiques célèbres qui ont pu donner une image assez particulière de l'humanité et de la notion de "pression des pairs" ou de l'autorité. Ces trois expériences "limites" sur la psychologie humaine proviennent toutes d'une volonté de comprendre ce qui s'était passé durant la seconde guerre mondiale. Elles ont toutes dépassé de manière dangereuse le cadre de l'expérimentation et ouvert une fenêtre sordide autant qu'inquiétante sur la noirceur humaine.

La troisième vague
Il s'agit d'une expérience menée en 1967 par un professeur de l'université de Palo Alto en Californie. L'expérience fut très peu documentée à l'exception de quelques articles dans le journal de l'école et du compte rendu écrit par le professeur, des années plus tard.
Cette expérience a été adaptée en roman par Todd Strasser, mais aussi en film (Die Welle).

La Vague
de Todd Strasser
roman (poche) : ISBN n°978-2266185691 chez Pocket
BD : ISBN n°978-2-35013-156-6 chez JC Gawsewitch
Sur wikipedia

Ne pouvant arriver à expliquer comment les allemands ont pu laisser les nazis arriver au pouvoir et mettre en place l'horrible "Solution Finale", il décide de mener une petite expérience.
Il met en place une discipline de fer dans sa classe, puis des exercices physiques, une devise, le tout sous l'excuse de l'hygiène de vie, de l'amélioration personnelle et du bien commun. Petit à petit, son système recopie le nazisme, avec salut, devise, etc. Et l'expérience lui a échappé des mains. Les élèves ont parfaitement suivi l'exemple, avec culte du leader, menace et violences sur les opposants, etc. en seulement une semaine !
Les élèves étaient devenus les parfaits petits drones qu'ils détestaient seulement une semaine auparavant. Le professeur le leur fit réaliser le dernier jour, mettant fin à l'expérience d'une manière explicite avant que la situation ne dégénère.

Soumission à l'autorité - Expérience deMilgram
Une autre expérience qui fait peur, celle de Stanley Milgram. Si vous pouvez vous le procurer, elle est reproduite visuellement dans le film I... Comme Icare, un agréable film sur l'assassinat de J.F. Kennedy (ce qui n'a que peu de rapport avec ce qui nous occuppe ici).

Soumission à l'autorité
de Stanley Milgram
chez Calmann Levy
ISBN n°978-2702104576
Sur Wikipedia

L'expérience de Milgram (1963) est très simple ainsi que très documentée, car elle fut reproduite de nombreuses fois dans de nombreux pays : un scientifique en blouse blanche accueille deux personnes qui ont été recrutées pour une expérience sur la mémoire (ou autre, peu importe). Un tirage au sort a lieu pour les départager : l'un sera le "professeur", l'autre l' "élève".
Toutefois, le tirage au sort est truqué, et l'un des deux recrutés n'est qu'un acteur. Une seule personne est étudiée lors de l'expérience et sera, par truquage du tirage au sort, le "professeur".
L' "élève" s'assied sur une siège et le "scientifique" met sur lui des électrodes. Le "professeur", quant à lui, s'assied à un pupitre de commande, dont les leviers envoient des décharges électriques à l' "élève".
L' "élève" ne reçoit pas réellement les décharges, mais il les simule pour que le "professeur" y croie.
La question de l'expérience est : si on en donne l'ordre au "professeur", ce dernier ira-t-il jusqu'à "tuer" l' "élève" ?
La réponse, donnée par l'expérience est, hélas, oui. Dans la très grande majorité des cas. Les variations de l'expérience donne des résultats très similaires confirmant l'idée que les gens se soumettent facilement à ce qu'ils reconnaissent comme l'autorité s'ils ressentent qu'ils sont ainsi déchargés de leur responsabilité...

Effet Lucifer - Expérience de Stanford
Réalisée en 1971, cette expérience est à rapprocher des deux précédentes. Elle est plutôt bien documentée, mais ne fut jamais reproduite (sauf par la BBC comme émission de téléréalité). En l'occurence, on a ici choisi des sujets considérés comme particulièrement stables et peu dangereux, de peur d'avoir des débordements. Par tirage au sort, les sujets se sont retrouvés soit gardiens, soit prisonniers.

The Lucifer Effect
par Philip Zimbardo
ISBN n°978-1846041037
Sur wikipedia

Wikipedia raconte d'ailleurs la suite mieux que je ne pourrais le faire :

Les prisonniers et les gardes se sont rapidement adaptés aux rôles qu'on leur avait assignés, dépassant les limites de ce qui avait été prévu et conduisant à des situations réellement dangereuses et psychologiquement dommageables. L'une des conclusions de l'étude est qu'un tiers des gardiens fit preuve de comportements sadiques, tandis que de nombreux prisonniers furent traumatisés émotionnellement, deux d'entre eux ayant même dû être retirés de l'expérience avant la fin.

Malgré la dégradation des conditions et la perte de contrôle de l'expérience, une seule personne parmi les cinquante participants directs et indirect de l'étude s'opposa à la poursuite de l'expérience pour des raisons morales. C'est grâce à celle-ci que le professeur Zimbardo prit conscience de la situation et fit arrêter l'expérience au bout de cinq jours, au lieu des deux semaines initialement prévues.

5 jours. Seulement cinq jours pour transformer des êtres humains en bourreaux.

Utilité au militant de gauche :
Ces livres sont à mon humble avis utiles à tous, quel que soit le bord. Ils expliquent très bien comment une population peut se laisser glisser de manière très simple dans l'obéissance absolue et aveugle, le respect des règles qu'on leur a données en se dépouillant de ce qui fait d'un homme (ou d'une femme) un être humain.
Ces scientifiques ont mis l'âme d'un groupe d'humains sous un microscope et l'ont regardée avec attention, jusqu'à ce que le dégoût ne vienne mettre fin à l'expérience. Mais il serait trop facile de rejeter la faute sur le groupe : l'expérience de Milgram montre notre coté veule et soumis, et ce individuellement.
Une fois ces livres lus, le célèbre roman de Robert Merle, La Mort est mon métier, n'en devient que plus effrayant, plus atroce, plus ... humain.

Toutefois, attention : ces expériences sont très controversées et la généralisation de leurs conclusions est sujette à caution. Les événements ont bien eu lieu, mais la non reproduction des expériences (à l'exception de celle de Milgram) sauf de façon assez petite, rend ardue la généralisation de ce qui s'est produit.

Il en parle aussi :
La Vague de Todd Strasser