samedi 14 mars 2009

Grand Frère te surveille, c'est pour ton bien

En ces périodes de loi Hadopi, de rétention de sûreté, de vidéo surveillance, d'analyses ADN, comment ne pas causer un peu de Georges Orwell ? C'est d'autant plus d'actualité qu'à la fin de l'année dernière a paru un petit recueil de textes pour le moins essentiels du grand homme.

Orwell est surtout connu de par le monde pour son immense livre 1984, ainsi que pour La Ferme des animaux. 1984 est un ouvrage visionnaire, qui a inspiré énormément de livres, de films et d'ouvrages. Big Brother est devenu le cliché de la surveillance, au point de donner naissance, assez ironiquement, à un genre d'émission de télé proprement navrantes.

A Ma Guise - Chroniques 1943-1947
de Georges Orwell chez Agone
ISBN n° 978-2-7489-0083-5

Entre 1943 et 1947, Orwell va tenir une chronique hebdomadaire où il peut écrire sur ce qui lui chante, d'où le titre du recueil qui les rassemble. Le journal qui les publie, Tribune, est un journal de la gauche radicale britannique, où Orwell vient de rentrer en tant que directeur littéraire après un long séjour à la BBC qu'il a mal vécu. Il restera à Tribune jusqu'en 1945, mais continuera encore de publier sa chronique hebdomadaire jusqu'en 1947. Toutefois, la publication des textes est interrompue pendant de long mois vers 1946.

Puisqu'il a les coudées franches, Orwell y parle vraiment de tout ce qui lui passe par la tête : de rosiers, de V2, des nouvelles dans la littérature anglaises, de politique, etc. Ces nombreuses chroniques donnent, au travers des nombreux sujets couverts, une vision très étendue de la mentalité britannique dans les années qui ont suivi le Blitz, et du fonctionnement de la société. Qu'Orwell peste contre le déclin de la nouvelle, la difficulté de se procurer un produit ou qu'il encense un recueil de poésie, il crée un tableau pointilliste de cette société britannique calcifiée qui va grandement changer en quelques années.

Le plus intéressant est de voir dans ces multiples chroniques toutes les graines de 1984 : la structuration de la société, la surveillance, le va-t-en-guerre, la peur de l'autre, le stalinisme, etc. En donnant son opinion sur toutes sortes de sujet, Orwell nous donne les clefs de la compréhension de son plus célèbre roman.

Utilité au lecteur de gauche :
  • C'est un ouvrage essentiel pour comprendre Orwell et aborder 1984 avec le même oeil que son auteur
  • Il donne une vision lumineuse de la société anglaise pendant et juste après la seconde guerre mondiale
  • Il montre les fondements et le fonctionnement des luttes sociales anglaises de l'époque du point de vue de l'auteur
Et puisque je parle de toute cette surveillance moderne, c'est l'occasion de parler des Big Brother Awards, dont le rapport d'activité a paru l'an dernier. Quis custodiat ipsos custodes ? demandait ironiquement Juvenal. "Qui garde les gardiens ?" ou "Who watches the watchmen ?" puisque c'est là aussi d'actualité.
Ces dernières années ont vu l'arrivée à grande vitesse de nombreuses technologies et loi dédiées à la surveillance des êtres humains. Difficile de ne pas laisser traîner partout des petits cailloux blancs dans les fichiers informatiques de toute la société. La CNIL est de plus en plus un organisme relégué, ignoré, aux bases rongées au fur et à mesure des années.

"Je ne veux pas me faire ficher, estampiller, classer ou déclasser puis numéroter ! Ma vie m'appartient !" disait le n°6 (P. McGoohan) dans la série Le Prisonnier

Ce n'était pourtant que les années 60. Combien de fois sommes nous numérotés, entre la sécurité sociale, les identificateurs, le numéro de cartes d'identité ou de passeport, les numéros de compte en banque, l'adresse Mac de notre ordinateur, l'identificateur de notre passe Navigo ou que sais-je encore ? Il faut s'y faire, nous sommes des numéros. Et ce même sans parler du STIC, de EDVIRSP (ex EDVIGE) et autres fichages.

Big Brother Awards - Les Surveillants Surveillés
par l'équipe des Big Brother Awards chez Zones
ISBN n°978-2-35522-014-2

Les Big Brother Awards sont un jury qui, chaque année depuis 2000 décernent des prix à celles et ceux, personnes ou organismes, auront fait le plus avancer la société vers celle décrite dans 1984. Et il faut avouer qu'actuellement, avec un ministère dont le nom est carrément en novlangue, les frontières se "floutent" sévèrement.

Les prix Orwell sont remis par catégories :
- Ensemble de son oeuvre
- Etat et élus
- Entreprise
- Localités
- Novlang
- Prix Voltaire (qui, inversement, récompense ceux qui luttent contre ces dérives)
- parfois "Mention spéciale"

Le prix Orwell est une botte écrasant un visage, qui provient de la célèbre phrase d'Orwell sur sa vision de l'avenir (" Si vous voulez une image du futur, imaginez une botte écrasant un visage humain, pour toujours").

Le livre est un recueil d'articles sur les technologies et loi de surveillance, les activités de la CNIL, les raisons pour lesquelles M. Sarkozy ne peut plus être nominé à ce prix, les prix remis année par année et les raisons pour lesquelles ils ont été remis.

Le constat est effrayant. L'esprit ne ressors pas indemne de la vision de l'avenir que réclament à grands cris société, lobbies, politiques, élus. Jamais la série "Le Prisonnier" n'a été, finalement, une telle source d'inspiration pour imaginer l'avenir qu'on souhaite pour nous. L'écoeurement point assez vite, la colère et la rage aussi. Je vous invite à aller voir la liste des nominés année par année, qui indiquent les raisons des nominations. MKULTRA était le passé, un passé délirant. L'avenir est moins dément, mais tellement plus efficace, avec une approche tellement plus ... holistique.

"Unlike me, many of you have accepted the situation of your imprisonment, and will die here like rotten cabbages." - le N°6 (Contrairement à moi, beaucoup d'entre vous ont accepté leur emprisonnement et mourrons ici comme des choux pourris.)

Utilité au lecteur de gauche :
  • Ce livre donne un panorama des dérives sécuritaires de notre société. C'est un parfait résumé de tout ce qui a été tenté entre 2000 et 2007, et ça donne une vision de ced que l'avenir nous réserve si nous laissons faire.

Bonjour chez vous.