mercredi 17 février 2010

Les coups tordus de Churchill

Si vous avez besoin d'un petit peu de détente entre deux études sur l'état de l'économie ou de la planète, je ne peux que recommander cet opuscule amusant sur Churchill. Son auteur, Bob Maloubier, 85 ans aux prunes, est un ancien espion qui a servi pour le SOE lors de la Seconde et visiblement fasciné par le personnage dont il fait une biographie à la fois sérieuse et romancée.


Les Coups Tordus de Churchill de Bob Maloubier
chez Calmann-Levy
ISBN : 978-2-702140-0-62

Le style d'écriture permet à ces 250 pages d'être rapidement dévorées, et le défaut que je trouverais au livre c'est de tomber dans le piège de la biographie : le personnage biographé est trop fort, trop grand, trop beau et il a tout fait. Sauf que dans le cas de Churchill, ce n'est pas tout à fait faux, vu à quel point il était au centre d'événements essentiels de l'histoire contemporaine.

Bref, le roman couvre la vie de Churchill, à travers le prisme de sa fondation et de son utilisation de l'appareil d'espionnage et de "deception" britannique. Des premiers coups fourrés réalisés par le bonhomme dans des guerres pour l'Empire Britannique à l'opération Fortitude, tout y passe, raconté sous la plume fascinée de l'auteur, qui a l'avantage d'avoir vécu en direct une partie des événements.

Une petite lecture qui repose et délasse en apprenant des choses sur l'homme, dont certains coups vraiment tordus. Par contre, le lecteur aura à coeur de pas se laisser emporter par l'enthousiasme de l'auteur : Churchill n'était pas tout blanc non plus (cf. Une Histoire Populaire De L'Empire Américain, tiens, d'ailleurs) et déjà entre les lignes transparaît l'aveu, parfois, que certaines opérations ont coûté très cher en vies humaines.

mardi 16 février 2010

Joe Sacco - Gaza 1956 : En Marge De L'Histoire

Joe Sacco n'est pas un inconnu. Enfin, pas tant que ça. Il s'agit d'un journaliste BD comme il en existe trop peu (Art Spiegelman, par exemple, en est un autre). Joe a déjà plusieurs livres à son actif, dont les très bon "Palestine" et "Gorazde" chez Rackham et a été récompensé. Ses traitements de l'actualité dramatique d'une manière "gonzo-sérieuse" sont particulièrement intéressant. Gonzo-sérieux est à prendre dans le sens où ses récits le mettent en scène, mais toujours dans le cadre d'un reportage sérieux sur un sujet qui ne l'est pas moins.



Gaza 1956 : En Marge De L'Histoire par Joe Sacco
chez Futuropolis, ISBN : 2754802525

Gaza 1956 : En Marge De L'Histoire est un ouvrage massif (300 pages, mazette), une bande dessinée et un reportage, un reportage dessiné. On y suit Joe Sacco qui part en reportage en Palestine afin d'obtenir des témoignages sur deux événements s'étant déroulé en novembre 1956 et n'ayant laissé pour trace que des notes de bas de page dans les livre d'histoire. Il s'agit de deux opérations israéliennes sur la population civile de deux camps de réfugiés qu'on pourrait qualifier, sans hésiter, de "ratonnades" scandaleuses : des soldats israéliens ont humilié/tabassé/massacré un grand nombre de civils dans les villes de Rafah et Khan Younis.

Au-delà du simple récit des événements, le traitement est particulièrement intéressant, parce que dans ses 300 pages, Joe raconte non seulement ce qui s'est passé, mais couvre aussi la difficulté d'obtenir des témoignages et d'en vérifier l'historicité par cohérence, l'histoire tragique du conflit, ainsi que le quotidien de la vie aujourd'hui à Gaza, sans oublier une intéressante critique du journalisme dans le cadre d'un conflit qui n'en finit plus de se dramatiser, dans une certaine différence. Ah : et le quotidien local est d'autant plus intéressant que pendant la période où il se trouvait à Rafah la coalition menée par les USA est entrée en guerre avec l'Irak.

De plus, Joe traite de tout cela sans le sur-dramatiser, et avec un dessin clair et agréable qui mérite qu'on prenne le temps de le savourer. Il permet de voir à quoi ressemblaient les lieux et comment ils ont changé, ainsi que les protagonistes, par les témoignages non seulement de ceux qui ont subi les événements, mais aussi du témoignage direct du second de Moshé Dayan, et des documents de l'ONU ou des archives israéliennes que Joe et ses collègues ont réussi à obtenir.

L'ouvrage est en plus un très bel objet.C'est à mettre dans sa BDthèque juste à coté de "Une Histoire Populaire De L'Empire Américain", l'adaptation BD du livre de Zinn.
Un extrait des planches est là : http://backstage.futuropolis.fr/debat/blog/joe-sacco-gaza-1956-en-marge-de-l-histoire-en-prepublication

Edit (26-04-2010) : Munin de Hugin et Munin vient d'en parler

lundi 15 février 2010

Les Lois de Celine, mais pas Louis-Ferdinand... Hagbard

Rions un peu.
(repris librement du site discordien 23 Apple of Eris, repris de Wikipedia Anglais)

Les lois de Céline sont une série de trois lois gouvernant le gouvernement (pouf pouf) et l'interaction sociale attribuées au personnage fictif de Hagbard Celine dans son manifeste "Ne sifflotez pas quand vous faites pipi" (Never Whistle While Pissing). Le personnage apparaît dans la trilogie Illuminatus!, le délire discordien conspirationnisto-paranoïaco-chaotique de Robert Anton Wilson et Robert Shea, fort rigolo au demeurant. Celine, en gentleman anarchiste, sers de porte-parole pour toutes les idées anarchistes, libertariennes, etc. de Wilson.

Les trois lois de Celine apparaissent dans un des multiples spin-off rigolos de Illuminatus!, à savoir The Illuminatus Papers.

Première loi de Hagbard Celine : La sécurité nationale est la principale raison de l'insécurité nationale.

Reflétant la paranoïa relative à la Guerre Froide, la première Loi de Céline tourne autour de l'idée communément acceptée (à l'époque au moins, mais encore aujourd'hui) que pour obtenir un début de Sécurité Nationale, il faut créer une police secrète. Or, le danger est grand que des espions inflitrés, des révolutionnaires locaux et des séditieux divers pénètrent le système et donc la police secrète. Et, étant donnés les grands pouvoirs donnés à ce type d'entité, à savoir chantage, menaces, assassinats et intimidation d'autres membres du gouvernement, il est essentiel de créer un corps de police secrète supérieur, secret lui aussi, qui va surveiller les premiers afin de s'assurer de leur loyauté (qui a dit Paranoïa ?) Et ainsi de suite, à répéter ad nauseam jusqu'à ce que vous soyez arrivés à court de citoyens ou de budget. Et puisque cette situation de paranoïa et d'autosurveillance rend intrinsèquement les citoyens cibles de leur propre nation, chaque citoyen est plus menacé par une immense organisation secrète policière que par n'importe quel ennemi contre lesquels l'organisation chercherait à les protéger. Wilson souligne que l'U.R.S.S. a souffert de ce syndrome à tel point qu'elle était terrifiée par les peintres et les poètes qui ne posaient aucun danger réel.

Dans le même temps, étant donné les limites de financement et d'échelle, l'état de sécurité parfaite n'est jamais vraiment obtenu, laissant la population vulnérable à la menace d'origine mais aussi vulnérable à la vaste et orwellienne police secrète.

Pour résumer, l'obsession de sécurité nationale crée un état de surveillance qui est plus une menace pour le citoyen que la menace dont elle cherche à le protéger.

Seconde loi de Hagbard Celine : une communication exacte n'est possible que dans une situation n'impliquant pas une possible punition

Wilson la reformule lui-même à plusieurs reprises en "La communication se produit seulement entre égaux." Céline appelle cette loi "simple déclaration de l'évidence" et se réfère au fait que tous ceux qui travaillent sous les ordres d'une figure d'autorité tendent à lui mentir et à la flatter, soit pour se protéger de sa violence, soit pour éviter la privation d'une sécurité (comme la perte d'un emploi). En substance, il est généralement plus dans l'intérêt de tout travailleur de dire à son patron ce que ce dernier désire entendre, non pas ce qui est vrai.

Dans toute hiérarchie, chaque niveau inférieur porte la subtile charge de voir le monde de la manière dont leurs supérieurs s'attendent à ce qu'ils le voient ; et de fournir un retour que les supérieurs de leurs supérieurs veulent entendre.

En fin de compte, toute organisation hiérarchique confirme que ce que ses dirigeants pensent déjà est vrai, plus qu'elle ne les mets au défi de penser différemment. Les niveaux en-dessous des dirigeants sont plus intéressés dans la conservation de leur emploi que de dire la vérité. (Note du lecteur : pensez à l'affaire Enron/Worldcom).

Wilson, dans Prometheus Rising, utilise l'exemple de J. Edgar Hoover, fondateur du FBI. Hoover voyait des communistes et des espions infiltrés partout, et il demande à ses agents de les traquer. Par conséquent, les agents du FBI ont commencé à voir et à interpréter tout ce qu'ils pouvaient dans le sens de cette conspiration communiste. Certains sont même allés aussi loin que de faire passer les gens pour des communistes en les piégeant, en procédant à des arrestations en grande partie sans fondement et en faisant tout leur possible pour satisfaire Hoover et éliminer la conspiration communiste. Le problème est qu'un tel complot n'a jamais existé, sous quelque forme que ce soit. Hoover pensait que oui, mais tout agent qui a osé rappeler le manque de preuves à Hoover aurait, dans le meilleur des cas, vu ses promotions refuées et, au pire, aurait été accusé d'être lui-même un communiste et aurait perdu son emploi. Tout agent qui connaissait la vérité prenait bien soin de se taire.

Wilson utilise l'œil dans la pyramide du Grand Sceau des États-Unis comme un symbole de la dysfonction des hiérarchies : tous les niveaux sauf le plus haut est aveugle, mais l'œil ne peut voir que dans un sens.

En fin de compte, Céline affirme qu'une hiérarchie tends plus à cacher la vérité à ses dirigeants qu'elle ne tends à trouver la vérité.

Troisième loi de Hagbard Celine : un politicien honnête est une calamité nationale

Céline reconnaît que la troisième loi peut sembler absurde dès l'énoncé. Même si un homme politique malhonnête ne s'intéresse qu'à améliorer son propre sort en abusant de la confiance du public, un politicien honnête est beaucoup plus dangereux car il croit honnêtement à l'amélioration de la société à travers l'action politique, et cela signifie l'écriture et l'application de lois de plus en plus nombreuses. Céline soutient que la création de plus de lois ne sert qu'à créer plus de criminels. Chaque loi restreignant la liberté individuelle par nature, et le taux croissant de lois en cours de rédaction signifie que tout citoyen, au cours de sa vie quotidienne, n'a plus qu'à chercher à ne pas violer, au cours de sa journée, l'une quelconque de la pléthore de lois. Ce n'est que par des politiciens honnêtes qui essaient de changer le monde à travers les lois que naît la tyrannie véritable, au travers d'une législation excessive.

Des politiciens corrompus remplissent simplement leurs propres poches. Les politiciens idéalistes peuvent mettre fin à la liberté des gens à travers d'énormes quantités de lois. Ainsi, des politiciens corrompus sont préférables selon lui.

Citant Lénine et ses successeurs à titre d'exemple, Wilson fait valoir que les plus tyranniques et brutaux régimes de l'histoire ont été créées par des politiciens honnêtes qui croyaient à une bonne cause.

(Note du lecteur : amusant mais pas que)