lundi 28 janvier 2013

"Objet de culte"

Internet, des fois, c'est génial. Prenons un exemple : le jeune Lecteur, en CM2, possède un livre super génial qu'il a lu plein plein plein de fois et a développé son esprit critique. Surtout qu'il a eu une expérience directe du comportement dénoncé avec humour dans son livre. Ce livre, il l'a perdu à peu près au CM2 aussi. Faute de connaître le titre ou l'auteur, Lecteur pleure ardemment sa perte et peut se le tailler en biseau pour retrouver un exemplaire. Récemment, au détour d'une conversation Internet, quelqu'un cite nonchalamment un ouvrage super qu'il a lu, en donnant titre et auteur, mais en anglais. Et c'est le bouquin que je cherchais désespérément depuis vingt ans. Rhâ ! Ni une ni deux, gargle, mamazone, arbrebooks, prizeministre et consors sont épuisés pour en trouver un exemplaire hors de prix (de tous les livres de cet auteur, seul celui-ci crève le plafond en VF).

David Macauley est un pro pour ce qui est d'expliquer aux enfants comment les choses marchent, avec un dessin d'une précision et d'une clarté incomparable. Avec lui, j'ai découvert comment on construisait un château fort, une cathédrale, une pyramide... Comment le sous sol de la ville était plein de galeries, de tuyaux et de carrières de pierres (ou pas pour ce dernier). Etc.

Le plus génial des ouvrages qu'il ait fait est celui-ci. Un cataclysme a ravagé les Etats-unis en 1985 (oui, bon, hein), devenus une civilisation complètement oubliée. Dans un futur lointain, un archéologue déterre une étrange structure, complète, avec des squelettes dedans, que les anciens appelaient "Motel". Vu les corps allongés, il ne peut s'agir que d'un tombeau pour gens de haut rang ! Et à partir de là, très sérieusement, notre archéologue commence à réinterpréter tout ce qu'il trouve à sa sauce. La télé devient "le grand autel" pour les prières. Les WC ? Un petit temple secondaire dédié aux dieux de l'eau. Le récipient "ICE" ? C'est évidemment l'Isolateur des Contenus Essentiels où on plaçait les organes retirés des défunts.
Tout y passe, écrit et illustré avec humour.

Mais il y a une leçon, dans ceci et c'était qu'à l'époque (peut être encore aujourd'hui), quand les archéologues ne savaient pas à quoi servait un truc, ils y collaient un label "objet de culte". Mon expérience directe s'est faite avec une espèce de bâton préhistorique qui est passé, au fil de mes bouquins d'histoire de collège et lycée, d'objet de culte à propulseur à flèches pour la chasse... Un chouette livre qui développe un peu l'esprit critique des enfants, avec plein d'humour. Les autres ouvrages sont très bons aussi mais hors de propos ici.

La Civilisation Perdue de David Macauley
Chez L'école des loisirs, ISBN 2211016839
(vous pouvez le trouver facilement en VO sous le titre Motel of the Mysteries ISBN 0395284252 chez Houghton Mifflin)

lundi 21 janvier 2013

Notre espèce doit elle survivre ? Peut elle ?

Allez, zou, c'était pas prévu, mais voici un billet supplémentaire sur de la BD pour la simple raison qu'on me l'a prêtée hier (trop coule). Il s'agit cette fois d'une BD d'affreux auteurs gauchisant sur le fonctionnement du capitalisme, de sa naissance à sa morbidité actuelle. Le dessin est très réussi, produisant des planches essentiellement en noir et blanc - avec un peu de vert monétaire - au trait sévère avec une petit pointe cartoonesque pour la caricature nécessaire.
C'est très bien raconté, avec beaucoup d'humour noir et un cynisme féroce. Ça fait mal. En quelques étapes simples, les auteurs nous emmènent dans le monde profondément absurde et injuste du système. Le fait qu'on nous vende notre propre argent à chaque emprunt. Le fait que certains ne perdent jamais. Le fait que quoiqu'il arrive, le mécanisme ne fonctionne que dans une direction. Le fait que l'économie n'est pas, n'a jamais été une science "dure" mais sociale. Le fait, enfin, que le piège s'est violemment refermé sur nous tous. Reste-t-il un espoir ? Pour toute belle qu'elle soit, l'anecdote située à la fin de l'ouvrage est un bien faible rayon de lumière...



Le système actuel, dont on nous rabâche bien qu'il n'y a pas d'alernative (n'est pas, T.I.N.A ?) est mortifère, n'apporte ni bonheur ni avenir et s'achemine lentement vers le drame, si ce n'est déjà commencé. Malgré l'humour avec lequel cette fable est racontée, on referme l'album avec un goût de cendres...

La Survie de l'Espèce de Paul Jorion et Gregory Maklès
ISBN n°275480725X chez Futuropolis (avec ARTE éditions)

vendredi 18 janvier 2013

La norme ne saurait être que sociale, morale ou religieuse

En ce moment, l'hiver est chaud. Du moins quand on regarde la mobilisation de certains contre une basique égalité sociale qui n'a guère fait de remous dans les pays où elle est déjà implémentée depuis longtemps. D'ailleurs, quand on y pense, la mobilisation fut assez faible en regard des énormes moyens déployés. Comme on est obligés de rester au chaud quand l'obscurantisme, la peur de l'autre, la terreur de la différence ou la simple bêtise expriment passionnément leur étroitesse à l'extérieur, on a besoin de bons ouvrages. Il y a quelques temps, un ami - que j'en profite pour remercier - m'a parlé d'un intriguant ouvrage sur la sexualité dans la nature, et il en a finalement longuement causé sur le blog des corbaques.

Quand on nous rabâche que n'est naturel que la relation un homme plus une femme, sans aucune preuve scientifique autre que la norme sociale calcifiée habituelle, on oublie vite qu'il n'y a en fait aucune norme biologique sur le sujet. La nature est remplie de contre exemples. Il faut d'ailleurs souvent pas chercher bien loin, mais l'occultation des contre exemples et l'ignorance des règles de logique formelle sont souvent un vieux dada. Ici, donc, dans ce livre, Gwenn Seemel, artiste franco-étatsunienne nous livre une série de peintures animalières superbes. Le choix des animaux n'est aucunement anodin. De l'ours brun à la mouette en passant par la hyène ou la girafe, chacun de ces animaux se comportent différemment de la théorie fantasmée des manifestants bleublancroses sur un papa + une maman (+ un crayon + une gomme, c'est le "Mariage pour trousse" nous twitta quelqu'un).

Qu'apprends-t-on dedans ? Hé bien que ce que nous tenons pour "naturel", quoi que cela entende, n'est nullement une norme biologique absolue. Toutes les configurations imaginées et imaginables existent dans la nature. De nombreuses espèces forment des couples homosexuels, sur la durée ou pour de simple relations temporaires, par jeu ou pour élever des enfants. Dans de nombreuses espèces, c'est la femelle qui domine, qui chasse, qui gère. Dans d'autres, c'est le mâle qui se pomponne et se fait beau. Encore d'autres où les petits sont élevés par les mâles, ou par des couples homosexuels. Encore, enfin, où les mâles donnent naissance, où les femelles abandonnent la garde des petits aux mâles etc. Quoique vous puissiez imaginer sur la structure d'un couple ou la sexualité existe quelque part dans la nature.

Au final, quelle que soit ce qui constitue pour vous la "normalité" d'une relation familiale ou sexuelle, ce n'est qu'une norme subjective, sur une base culturelle, sociale, morale ou religieuse, mais nullement une vérité biologique, scientifique, absolue.

Les illustrations sont des peintures superbes, qui reprennent souvent un élément évoqué pour l'animal concerné. c'est très très beau, dans une acrylique colorée pointilliste que je trouve finement maîtrisée. Il y a un je-ne-sais-quoi de géométrique dans les "points" que je trouve très beau, au-delà du feu d'artifice des couleurs. Il est difficile pour l'illustration d'enrichir le texte mais au final avoir une jolie image des animaux concernés suffit à nous rappeler, à tout instant, que la nature est superbe, entre autres dans sa variété.

Le Crime Contre Nature de Gwenn Seemel
Fichier .pdf en français vendu contre simple don ou alors livre en anglais.

L'avis de Benoît Felten

jeudi 10 janvier 2013

Cleveland se bat contre des murs

Il y a quelques années, le maire de Cleveland a porté plainte contre 21 banques de Wall St. à cause du drame des subprimes, Cleveland étant l'une des villes les plus touchées par les saisies immobilières. Dans mon souvenir, il a été débouté. Le procès n'a jamais eu lieu.

Mais à quoi aurait-il ressemblé s'il s'était tenu jusqu'au bout ? C'est ce qu'a voulu découvrir le réalisateur de ce film, Jean-Stéphane Bron. Ce film est loin loin d'être une fiction. Toutes les personnes présentes sont des gens normaux et sincères. Ainsi, les plaignants sont de vrais plaignants. Les avocats sont réels. Les témoins sont réels. Le jury a été sélectionné de manière normale. Tous ont accepté de jouer le jeu pour de vrai. D'ailleurs, on y croise le policier présent sur la photographie ayant reçu le World Press Photo of the Year Award 2008... Si si.

On assiste donc à un véritable procès, sincère, réel. On peut voir le talent de l'avocat de la défense à l’œuvre (un sacré pro), la sincérité de toutes les personnes impliquées, jusqu'à la conclusion du procès qui, finalement, est assez naturelle quand on voit comment la question centrale est rédigée : Wall Street est elle coupable de la crise des subprimes ?
C'est vraiment très bien fait, très très loin des films bases sur des affaires de procès, genre l'Associé du Diable. Ici, pas de grands effets de manches, pas de retournements rocambolesques ou de témoins surprise. Chaque camp produit ses preuves et ses témoins. Les jurys discutent, le juge rend le verdict.


Non, vraiment, un must see qui permet à la fois de voir comment les subprimes immobilières ont pu dériver à ce point et comment se déroule réellement un procès. On y voit aussi à quel point vouloir mettre des jurys populaires partout est une mauvaise idée.

Cleveland Contre Wall Street Documentaire de Jean-Stéphane Bron, 98'
DVD (2011) Les Films Pelleas